Il est de tradition de rechercher dans une oeuvre d’artiste les influences subies, c’est à dire de la rattacher à un mouvement voire à une école ou simplement d’y déceler les liens avec un autre créateur, soit pour en nier l’originalité, soit -facilité d’explication ou désir pédagogique- pour en montrer la cohérence historique et lui donner ainsi une justification artistique.
Nous pourrions procéder de même avec les oeuvres d’Eve Quiviger et dire que certains aspects de Victor Brauner ou de l’art grotesque y sont lisibles, qu’on pourrait l’insérer dans les mouvements de la nouvelle figuration libre, du post-art-brut, de l’art en marge, de l’art insolite ou de l’art singulier, sans ignorer le surréalisme ou le néo-expressionnisme, et y rechercher par exemple les rapports avec Chaissac ou Jean-Jacques Royo, ce qui laisserait supposer d’emblée la connaissance de ces mouvements ou de ces personnes grâce à la pratique d’une école d’art ou la fréquentation d’une quelconque académie.
Or, sans affirmer un individualisme hautain, ou revendiquer son indépendance puisqu’elle ne doit sa formation qu’à elle-même ou au passé auquel elle fut soumise, Eve Quiviger reconnaît exprimer dans sa peinture l’intensité de son être intérieur dans une démarche libératrice et totalement personnelle, projette sur la toile ses visions souvent délirantes qui pertubent son existence pour tenter de les surmonter. Ses créations deviennent ainsi nécessaires et salvatrices.
Le résultat est probant et donne une oeuvre forte par sa matière et son contenu mais qui n’aurait qu’un intérêt limité si elle n’était , pour nous spectateurs, que perception de l’autre. Elle nous concerne aussi car elle place notre regard devant une puissante volonté libératrice qui nous touche et peut nous interpeler, nous met en face de nos propres pertubations, et nous montre une voie pour échapper, ne serait-ce qu’un instant, à la rationalité voir aux fréquentes monstruosités de nos existences humaines tout en répondant à notre désir de fantaisie créatrice, à notre aspiration à un monde de pureté.
Michel Mortier – Critique d’art – 2/10/2015